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La santé mentale au coeur de la réinsertion professionnelle
A l'Extrême-Nord du Cameroun

La Région de l’Extrême Nord du Cameroun est confrontée depuis plusieurs années aux attaques des groupes armés qui entraînent des mouvements de populations et contribuent à amplifier les problèmes préexistants de malnutrition chronique et d’insécurité alimentaire.
Depuis septembre 2017, cette situation a fait plusieurs milliers de déplacés internes dans le pays et engendré une inflation de 30 à 60 % sur certaines denrées[1]. Les quatre communes de la zone d’intervention du projet RESILAC que sont Dargala, Koza, Mindif et Mora, concentrent 56% de la population de cette région vivant sous le seuil de pauvreté[2].
Les plus impactés sont les jeunes et les femmes. Les difficultés d’ordre économique que ces derniers rencontrent dans la région (précarité du marché du travail, ressources naturelles limitées pour la production, une insuffisance de revenus) engendrent fréquemment un état de détresse psychologique. Ceci est souvent couplé avec des traumatismes liés à la recrudescence de l’insécurité, aux conflits intrafamiliaux et aux violences basées sur le genre. Ainsi, les jeunes ont beaucoup de mal à puiser en eux les ressources nécessaires à leur réinsertion économique[3].
Le projet RESILAC déploie au quotidien de nouvelles stratégies pour permettre aux jeunes et aux femmes camerounais.e.s. de puiser en eux les ressources nécessaires pour se réinsérer durablement sur le marché de l’emploi.
Reprendre confiance en l'avenir
Les problèmes psychologiques affectent considérablement la capacité et la volonté des personnes affectées à coopérer, à vivre ensemble, à se projeter dans l’avenir de manière confiante et solide. Les troubles de stress post-traumatique sont considérés comme « le principal facteur à l'origine de la persistance des troubles psychiques au sortir des situations de conflit »[1].
Les programmes de santé mentale sont donc nécessaires pour permettre aux individus et populations de se relever, d’être plus résilientes et se lancer dans un projet d’avenir avec une plus grande confiance en eux-mêmes.
C’est pourquoi, RESILAC intègre une prise en charge psychosociale dans les activités de relance économique, permettant aux jeunes qui intègrent le dispositif de formation-réinsertion, de bénéficier du protocole Problem Management + (PM+). Il s’agit d’un protocole développé à l’origine par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui, à travers des séances hebdomadaires individuelles, de 90 minutes environ, pendant cinq à sept semaines, soutient les individus dans la gestion de leurs problèmes psychologiques, de subsistance, leurs conflits familiaux et traumatismes. Une formation des agents de santé des centres médicaux sur place permet aussi de développer leurs compétences dans la prise en charge psychosociale, dans une région dépourvue de soins en santé mentale.
Les résultats individuels sont très encourageants dans les communes où ce suivi a été mis en place.
C’est notamment le cas pour Maimouna, 29 ans, mère de 2 enfants, résidente du village de Djamboutou (commune de Dargala). « Je souffrais d’insomnies, d’un manque d’appétit, de fatigue générale et de difficultés à me concentrer ». Des symptômes avérés de dépression et anxiété généralisée ont été observés lors de son évaluation clinique. Maimouna a été accompagnée par le PM+ durant 7 semaines, au cours desquelles elle a appris « plusieurs stratégies de gestion du stress et de reprise progressive d’une activité ». En milieu de parcours, elle a pu identifier une AGR de vente d’aliments sur un marché. RESILAC l’a assistée pour construire son business plan et mettre son activité en route. Depuis, raconte-t-elle, « j’ai enfin retrouvé le sommeil, et l’angoisse de rester seule à longueur de journée a disparu ».

Fatou, 20 ans, mère de 2 enfants et résidente du village de Gaboua (commune de Koza), témoigne aussi :
« Je travaillais dans une ONG locale comme « pair éducateur » mais mes revenus n’étaient pas suffisants ni stables pour prendre soin de ma famille. Depuis quelques années, j’essayais d’intégrer la fonction publique, sans succès. Je me suis aussi séparée du père de mes enfants, je n’avais pas d’emploi stable, j’avais un vrai sentiment d’échec. »
Fatou s’est retrouvée plongée dans un état de détresse psychologique intense associé à des douleurs psychosomatiques. Elle a alors rejoint un chantier d’intérêt communautaire (TICOM) de RESILAC et participé à la prise en charge psychosociale PM+. Au cours des séances, Fatou a élaboré un plan d’action: s’inscrire dans un groupe d’information sur les concours de la fonction publique, se renseigner auprès de personnes ressources, démarrer une activité commerciale, favoriser le dialogue avec le père de ses enfants. Grâce à l’épargne issue des travaux TICOM et gérée avec son AVEC, elle a acheté des moutons dont la revente lui apportera un profit économique. L’amélioration de son état lui a aussi permis de renouer des liens sociaux.
« Certaines douleurs physiques sont encore présentes, mais j’ai retrouvé le sommeil et l’appétit, et je ressens une vraie amélioration de mon bien-être général ».
Epargner pour se stabiliser
Les jeunes et les femmes sont également suivis et encadrés, grâce à un dispositif performant d’éducation-formation-insertion économique, qui leur permet de choisir un microprojet porteur et de renforcer leur capacité techniques et de gestion en vue d’investir en toute sécurité leurs épargnes.
Ainsi, durant les mois de juin et juillet 2020, dans la commune de Mindif, les bénéficiaires d’un chantier ont été formés sur de nouvelles techniques d’engraissement et d’élevage de petits et gros ruminants (bœufs, moutons et chèvres), et des thématiques de comptabilité simplifiée – incluant la gestion d’outils comptables (cahiers de caisse et de gestion de stocks), l’appui à la réalisation d’achats en respectant les normes du marché de Dziguilao, la création de commissions d’achat[1], etc.
Marthe, mère de deux enfants, raconte la création d’une AGR de production d’huile d’arachide dans le village de Maoudine (Mindif) :
« Nous avons constitué un groupement au sein de notre communauté, et nous avons appris à cultiver, étaler, faire sécher et écraser des arachides fraîches pour les transformer en huile et en croquettes. Désormais, nous vendons ces produits et mettons les bénéfices dans la caisse commune de notre AVEC[2]. Pour le moment, nous utilisons des marmites et des assiettes pour presser l’huile, mais notre objectif est d’acheter du matériel spécifique de pressage. En attendant, chaque dimanche, nous organisons des réunions pour voir l’état d’avancement de nos cotisations ».
En outre, le projet sensibilise davantage les femmes au leadership qui a conduit à l’occupation de postes décisionnels au sein des AVEC[3]. C’est le cas des AVEC mixtes de la commune de Mindif dont les bureaux sont, pour le moment, composés à 46% de femmes.
En tout état de cause, la prise en charge psychosociale menée par le projet RESILAC ne prétend pas résoudre définitivement les problèmes des bénéficiaires. En revanche, elle permet une mobilisation psychologique qui rend autonomes les individus et les met au centre de leur propre changement par le biais d’une réflexion sur les différentes voies de gestion de leurs problèmes émotionnels et de la vie quotidienne.
Retrouvez cet article sur les sites internet de nos partenaires:
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Action contre la Faim: https://www.actioncontrelafaim.org/a-la-une/la-sante-mentale-au-coeur-de-la-reinsertion-professionnelle/
[1] Données Banque Mondiale 2020
[2] Baseline initiale, Juin 2019 – Groupe URD/RESILAC et https://www.banquemondiale.org/fr/country/cameroon/overview
[3] Rapport de capitalisation, PM+ au profit du redressement économique, Mai 2020
[4] Rapport de démarrage de l’étude SMPS RESILAC – Groupe URD – Novembre 2020
[5] Rapport de formation du Chantier TICOM2 de Domayo (commune de Mindif) – 22 juin au 10 juillet 2020
[6] Association Villageoise d’Epargne et de Crédit
[7] Associations Villageoises d’Epargne et de Crédit